Devant le Parlement des écrivaines francophones, Shoukria Haidar interpelle sur le sort des Afghanes
La Franco-Afghane a témoigné devant les écrivaines réunies à Orléans pour raconter son combat contre les talibans depuis plusieurs décennies. Dans la foulée, le groupe d’autrices a lancé un appel en faveur des femmes.
La Franco-Afghane Shoukria Haidar, ici en novembre 2001, a témoigné devant le Parlement des écrivaines francophones réuni samedi à Orléans dans le cadre des Voix d’Orléans. (BEP/LA VOIX DU NORD via Maxppp)
par Alexandra Schwartzbrod, envoyée spéciale à Orléans
publié le 10 octobre 2021 à 14h02
«Notre voix, c’est notre arme, nous n’avons pas peur des talibans. Si vous voulez nous aider, il faut convaincre les politiques les plus influents de la planète de ne surtout pas les reconnaître, c’est la clé de tout ! Si par malheur ils étaient reconnus là-bas, alors les talibans pourraient bien étendre un jour leur pouvoir jusqu’ici.» Invitée à témoigner samedi sur le sort des Afghanes devant le Parlement des écrivaines francophones réuni à Orléans dans le cadre des Voix d’Orléans, la Franco-Afghane Shoukria Haidar a raconté comment elle avait relancé le combat contre les talibans, qu’elle avait déjà mené en 1996 quand les fondamentalistes avaient pris le pouvoir en Afghanistan après le départ des Soviétiques. «Je me souviens, quand j’étais à Kaboul en 1995, la population, qui en avait assez de la guerre avec les Soviétiques, pensait que les talibans, c’était l’espoir. Je me suis dit que si je ne faisais rien, cela signifiait que je collaborais avec les talibans. Le jour où Kaboul est tombé entre leurs mains, je suis devenue militante et féministe car ils avaient supprimé tous les droits des femmes. Aujourd’hui, cela recommence et il ne faut surtout pas baisser les bras, on peut agir si l’on est groupé et déterminé !»
En octobre 2001, Libération avait fait le portrait de Shoukria Haidar quelques semaines après l’assassinat du commandant Massoud qui représentait alors l’espoir face aux talibans. Par un hasard incroyable, elle s’était trouvée dans le même hélicoptère que les faux journalistes et vrais kamikazes qui, quelques heures plus tard, allaient se faire exploser avec le leader de l’opposition afghane.
Elle qui avait créé en 1996 l’association de soutien des femmes afghanes Negar n’en est devenue que plus combative. Exilée depuis les années 80 en France, où elle était devenue prof de gym à La Courneuve (Seine-Saint-Denis), naturalisée en 1998, Shoukria Haidar faisait ces vingt dernières années des allers-retours réguliers entre Kaboul et Paris.
«Les talibans n’émergent pas de la société afghane, c’est un groupe terroriste soutenu par le Pakistan et l’Arabie Saoudite, ce sont de simples mercenaires», martèle-t-elle depuis leur retour au pouvoir en août. Pour autant, «il ne faut pas croire que les vingt ans de présence occidentale en Afghanistan n’ont servi à rien, ils ont permis d’éduquer toute une génération, notamment de femmes, qui n’entendent pas se laisser enfermer sans réagir. J’ai honte pour l’Amérique d’être partie de cette façon-là. Elle qui nous a laissé les talibans doit trouver les moyens politiques de nous en débarrasser». A 64 ans, l’ex-gymnaste a donc repris la lutte, samedi devant le Parlement des écrivaines francophones, bientôt au Sénat, partout où sa voix peut porter. Lançant une campagne sur les réseaux sociaux et programmant une deuxième conférence des femmes afghanes à Douchanbé, la capitale tadjike.
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«Comment espérer une sortie des crises actuelles en continuant à nier la présence et l’apport des femmes ? Leur libération représente une solution aux maux de notre époque», a clamé en clôture de l’événement l’écrivaine franco-tunisienne Fawzia Zouari, cofondatrice avec la romancière Leïla Slimani de ce Parlement qui rassemble une centaine d’écrivaines issues de différentes régions du monde. Avant de lancer un «appel» : «Nous, écrivaines francophones, appelons les Etats, les institutions, la société civile à travailler pour un monde qui se conjugue aussi au féminin, de la grammaire aux postes de pouvoir, de l’action sociale à l’œuvre d’imagination, de la pensée à la performance manuelle. Nous revendiquons dans le sillage des femmes du Nord et du Sud “une planète 50-50”. Un changement des logiciels de sociétés rétives à l’émancipation féminine. Avec une action réelle sur les mentalités au moyen de l’éducation et des politiques d’incitation. Et un renforcement de la laïcité, seul rempart contre les dérives religieuses et sectaires.»