Shoukria Haidar a été reçue au Conseil Départemental de Loire Atlantique par le Président Michel Ménard
Interview de Geneviève Couraud, secrétaire générale de NEGAR
Le Département de Loire-Atlantique vient de débloquer une aide d’urgence de 40 000 euros pour l’association Negar, qui intervient auprès des femmes en Afghanistan. La situation complexe dans ce pays, avec le retour au pouvoir des Talibans, laisse craindre une dégradation importante des conditions de vie et des droits des femmes afghanes. La secrétaire générale de l’association, Geneviève Couraud, détaille les objectifs de Negar et fait part de son inquiétude.
Êtes-vous inquiète après les récents événements qui se déroulent en Afghanistan ?
Geneviève Couraud :
Oui, nous sommes très inquiètes. Notre association soutient un certain nombre d’écoles pour les jeunes filles, d’institutrices ou d’écoles qui permettent à certaines jeunes afghanes d’acquérir une instruction indispensable pour leur autonomie. Mais depuis que les Talibans ont repris la capitale Kaboul, tout est à l’arrêt, nous avons peu de nouvelles et celles que nous avons sont relativement inquiétantes pour les femmes. La plupart s’enferment chez elles. Officiellement, c’est pour les protéger mais nous savons que c’est le signal d’un retour en arrière très fort pour les droits des femmes dans ce pays.
Depuis juin, nous sommes mobilisées sur ce sujet. Nous avons reçu un certain nombre d’appels de particuliers ou de collectivités locales qui se proposent pour héberger des femmes en danger. Nous avons du mal à faire face à toutes ces sollicitations. C’est pour cela que l’aide d’urgence du Département de Loire-Atlantique de 40 000 euros nous apporte de l’espoir. Nous allons pouvoir embaucher deux personnes pour mieux coordonner notre action.
En quoi consiste votre action ?
À la fin des années 1990, nous avons aidé des écoles clandestines qui, malgré l’interdiction du régime des Talibans, souhaitaient continuer à instruire les filles. Puis, après la chute du régime, nous avons essayé d’aider la société civile à se reconstruire, en développant des infrastructures scolaires ou de petite enfance. Nous avons ainsi construit une crèche, un Kodakistan (Kodak= enfants/ istan= pays) à Kaboul. À l’origine, le projet devait se réaliser de 2005 à 2008, mais faute de moyens, la réalisation a démarré en 2010 et s’est achevé en décembre 2012.
C’est à cette occasion que nous avons bénéficié une première fois de l’aide du Département de Loire-Atlantique, dirigé à l’époque par Patrick Mareschal. L’espace Simone-de-Beauvoir à Nantes a été notre interlocuteur. Quand le nouveau président du Département de Loire-Atlantique, Michel Ménard, a repris contact avec nous pour nous proposer son aide, nous avons été touchées. Cette continuité politique, ce soutien qui traverse les années, ça montre que certaines choses méritent toujours notre mobilisation collective. Protéger ces femmes en fait partie.
J’ai pu voyager en Afghanistan à plusieurs reprises. La situation là-bas était inimaginable. Nous cachions de l’argent liquide dans nos habits, pour éviter les rackets.
En 2002, devant l’université de Kaboul, où nous voulions construire notre crèche, il y avait des amoncellements de bois et chaises cassées, hauts de plusieurs mètres. Les Talibans avaient détruit les classes et s’étaient servis de quelques meubles pour faire du bois de chauffage. Le reste était abandonné, en pleine rue. Pour moi, qui suis professeure, cette image de destruction m’a marquée, c’était la négation de l’éducation.
Les gens étaient affamés, désespérés, le pays était un champ de ruines, sans infrastructure, sans organisation. Pour construire notre crèche, nous ne savions pas où étaient les canalisations d’eau, Il n’y avait plus de plan de la ville, plus rien. Le chaos qu’avaient laissé les Talibans, nous ne pouvons pas l’oublier, c’est pour cela que leur retour au pouvoir nous effraie. Leur arrogance, renforcée par le départ de l’armée américaine, n’a pas de limites.
Que pouvez-vous faire par rapport à la situation actuelle ?
Nous essayons de garder le contact avec les personnes fiables que nous connaissons, pour organiser de la distribution d’argent ou de nourriture. Peut-être faudra-t-il organiser des évacuations dans des pays limitrophes ou en Europe. On sait que certains jeunes qui n’ont pas connu le régime Taliban, semblent prêts à résister, mais il y a déjà des listes rouges, des exécutions d’opposant·es ou de leurs familles. Les promesses des Talibans sur les conditions des femmes semblent bien vaines. Mais nous allons continuer à soutenir ces femmes, comme l’association l’a toujours fait. Notre présidente Shoukria Haidar, qui a fui l’Afghanistan en 1980 au moment de l’invasion soviétique, connaît bien ce pays, son fonctionnement et les femmes qui y vivent. Nous nous battrons pour elles, en ce moment particulièrement funeste.
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Le message de Michel Ménard, président du Département
« Une terrible tragédie afghane se noue sous nos yeux. La menace et les persécutions sont omniprésentes. J’ai récemment échangé avec la présidente de Negar, Shoukria Haidar, qui m’a témoigné des conditions très préoccupantes des femmes et des filles en Afghanistan, premières victimes du retour de la charia. La mobilisation dans la lutte contre toutes les formes de violences envers les femmes, dans lequel le Département de Loire-Atlantique est fortement engagé, doit résonner au-delà des frontières et s’intensifier. L’association NEGAR – Soutien aux femmes d’Afghanistan est un acteur important de cette lutte et nous nous devons de lui donner les moyens d’agir.